Je ne voulais pas faire ce voyage.

La loi indécente votée par les députés polonais, liée à la Shoah et qui vise à rendre passible de peines de prison l’emploie du terme « camps de la mort polonais » m’a obliger à ressortir un texte écrit en 2003 après ma première, et dernière visite à Auschwitz.

OLYMPUS DIGITAL CAMERAJe n’avais pas envie de faire ce voyage.

Aussi petit que je m’en souvienne, ma mère nous parlait ce qu’elle avait vécu  à peine dix ans plus tôt de la même façon qu’elle nous racontait une histoire pour nous endormir. La seule différence, c’est que nous savions qu’ici il s’agissait d’histoires pour les enfants et que là, nous comprenions que la scrupuleuse vérité nous était enseignée comme toutes les histoires familiales que les enfants apprennent au fil des ans à l’occasion des questions plus ou moins pertinentes qu’ils sont amenés à poser. Pour moi, c’était les horribles marques de coups que ma mère portait aux jambes et son numéro tatoué sur le bras qui faisaient l’objet de questionnements.

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Ma mère ne se dérobait pas à nos interrogations, et en mots simples, elle remplit petit à petit notre imaginaire de ce qu’elle avait subit dans ce cauchemar qui se rapprochait dès que la vie semblait l’éloigner.

Si j’essaye de reconstituer la perception du petit enfant qui écoutait les récits d’une maman dont le sourire ne quittait pas les lèvres, je retrouve l’essentiel de toute la vérité qui aura mis plus de trente ans à émerger dans le grand public: absurdité, sauvagerie, sadisme, violence. Ma mère était parvenue à me transmettre cette vision de l’enfer qui, je le compris bien plus tard, la hantait jours et nuits, sans jamais véhiculer haine, esprit de vengeance ou détails superflus compte tenu de mon âge. C’était l’histoire du peuple juif qu’elle me racontait, son vécu n’était que la continuité des persécutions que nous avions subites de siècles en siècles sous toutes les latitudes. Cette sombre parenthèse n’était qu’une « évidence » de plus que nous étions voués à un sort tragique malgré, ou à cause, de notre appartenance à un peuple dérangeant et pourtant pacifique s’il en est.

Avec l’adolescence et mes lectures, je découvrais qu’à travers tous les épisodes de sa vie, ma mère était un exemple lumineux du destin du peuple juif. Issue d’une famille d’origine turque, elle représentait l’expulsion des juifs d’Espagne et la fin de la grande culture ladino de Turquie. Après la guerre, sa participation à l’aventure sioniste et aux envois clandestins des juifs vers la Palestine mandataire l’insérait encore plus dans une histoire contemporaine emblématique de notre destin.

Avec le naturel et la force de la vérité, son récit s’inscrivait donc dans notre Histoire et dans ma mémoire et c’est avec la même intériorisation que celle du témoin direct que petit à petit la mémoire de la Shoah s’est faite mienne.

Retrouvant ici et là, dans différents témoignages et récits, des événements précisément rapportés comme ma mère l’avait fait, ceux-ci sont devenus tangibles, une part entière de moi-même, bien évidemment sans les traumatismes qui ont laissé des marques indélébiles sur les déportés eux-mêmes.

Je ne voulais pas faire ce voyage.

Je ne voulais pas que mes parents le fassent.

Ils ne voulaient pas le faire.

Pourtant, sentant que le temps était compté, que la douleur ne s’apaiserait jamais, et que des  prières sur ce lieu où tant de leurs parents ont disparu étaient aujourd’hui possibles, ils ont fait le voyage.

Le voyage n’a rien changé, il a ravivé des douleurs, mais il a apporté quelque réconfort à travers la possibilité qui leur était enfin offerte de transmettre à d’autres la responsabilité de garder cette mémoire.

Il me fallait donc, moi aussi, faire ce voyage si je voulais être capable de transmettre à mon tour un témoignage, certes de seconde main, mais néanmoins consolidé par la « connaissance » des lieux.

Pourtant, je ne pouvais me résoudre à aller sur cet immense cimetière qui avait servi de lieu de torture à mes parents.

A quoi bon ? J’avais en moi la plus grande partie de leur mémoire, la connaissance livresque de toute la littérature sur le sujet, la visualisation de tant de documentaires. Que pouvait m’apporter la visite des lieux ? Une expérience directe de la souffrance ? Certainement pas.

Une compréhension du pourquoi ? Non, pas plus là-bas qu’ailleurs.

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Les circonstances ont néanmoins voulu que je fasse un  voyage en compagnie de mon père.

Ai-je appris quelque chose au cours de ce voyage redouté ?

Sur ma propre perception de la déportation telle que je l’ai construite d’après les récits de mes parents, mes beaux-parents et leurs amis et mes lectures, peu de choses. Néanmoins quelques éléments que seul l’arpentage des lieux permet de mesurer, tels que les distances et le gigantisme du camp de Birkenau. Les différences entre celui-ci et celui d’Auschwitz, la prise de conscience de la promiscuité, malgré la taille des camps. Le nombre de déportés passés par ces camps se révèle brutalement par l’amoncellement des prothèses, chaussures, cheveux, lunettes, objets en tout genre volés par les nazis aux malheureux dès leur arrivée. La sordide efficacité du IIIè Reich qui implante sur ce site polonais le camp destiné à rayer de l’humanité le judaïsme. En utilisant des casernes situées près d’un nœud ferroviaire, et avec l’indifférence, au mieux, d’une population franchement antisémite les Allemands réalisent à Auschwitz-Birkenau un chef d’œuvre d’économies en tout genre et de rationalité perverse : voie ferrée existante, proximité de la plus grande partie des juifs à exterminer, population locale hostile aux juifs, complexe industriel stratégique aux alentours.

Cependant, ce voyage ne change en rien l’intériorisation de cette mémoire, déjà transmise par mes parents depuis de nombreuses années.

Je ne suis effectivement pas, comme la plupart des visiteurs en quête de compréhension, de pèlerinage pieux, de questionnements divers.

On ne questionne pas ce que l’on sait dans sa chair, je n’ai jamais connu mes grands parents, je sais où et comment ils ont disparu.

Par contre, très vite l’absurdité de ces visites accompagnées de guides officiels Polonais apparaît.

Décrivant l’histoire des camps avec la conviction du guide qui fait visiter la chambre des horreurs chez Madame Tussaud, notre guide nous explique que pour s’imaginer le camp tel qu’il existait, il faut reconstruire par la pensée des dizaines de baraquements disparus, effacer l’herbe qui tapisse le sol de partout…à ce moment mon père prend la parole, et d’un haussement d’épaule lâche «  Pfft, idiote, évidemment, s’il y avait eu de l’herbe, nous l’aurions mangée ! »

A partir de ce moment, notre groupe s’est resserré autour de mon père et l’a encouragé à commenter la visite, devant les yeux médusés de la guide.

Quel livre, quel guide, quelles explications peuvent en dire autant que cette phrase lancée par mon père ?

A part quelques détails, comme il est laid ce mot aujourd’hui pour parler de la Shoah, je n’ai rien appris sur ce passé lors de ce voyage que je ne savais déjà.

Mais le présent m’a saisi à la gorge !

La première chose que j’ai vue en arrivant à Birkenau, ce n’est pas Birkenau, je l’avais déjà vu en photo, en film et imaginé tant et tant de fois. Ce sont les maisons, proprettes, à quelques dizaines de mètres des barbelés. Qui peut avoir envie, quand il regarde par sa fenêtre, de voir ces camps sinistres, entourés de barbelés, qui peut regarder quotidiennement avec indifférence ces ruines de baraquements vestiges d’un monstrueux passé récent ?

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Interpellée par moi, la guide polonaise ne peut pas sortir autre chose que «  c’est moins cher ! », encore heureux que ces «  premières loges » ne soient pas l’objet d’une spéculation immobilière de voyeurs morbides.

Où sont passés les baraquements dont on ne voit plus que les cheminées ? « Pillés par les Polonais après guerre pour en faire du bois de chauffage .»

C’est quoi cette procession de toute la ville avec une immense croix et tous les corps constitués, policiers, gendarmes, prêtres, enfants de chœurs, etc. qui traverse Birkenau en chantant ? Un guide me dira, c’est un « chemin de croix » comme il y en a un dimanche par mois. Un chemin de croix sur les lieux du plus grand cimetière juif du monde ? Mais quelle est donc cette population qui a haï les juifs de leur vivant et qui ne respecte même pas le lieu de leur martyre ?

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A Auschwitz, les baraquements ont perdu leur structure de l’époque et ont été transformés en minis musées thématiques, dont l’efficacité de certains est indéniable, quant à d’autres, simples expositions de photos, ils n’ont même pas la qualité didactique de la plupart des musées occidentaux. La réalité de la vie du camp est donc à peine palpable, et l’on se demande quelle autorité a choisi ce mode de conservation des lieux, et dans quel but.

La Pologne soviétique a fait main basse sur ces camps, ainsi l’interprétation d’un peuple polonais ayant souffert du joug des Allemands a occulté la réalité du génocide juif. La vision communiste qui transformait la haine antisémite des Allemands, qui avaient pour complices dans leur délire les Polonais dans leur grande majorité, en une tare du fascisme, blanchissait les Polonais du crime d’Auschwitz. En transformant ce camp en simili musée, les Polonais ont pris soin d’occulter leur responsabilité. Qui ne sentait la chair grillée à dix kilomètres à la ronde ? Qui ne voyait les déportés dans les champs, les usines ?

Communiste ou devenu libéral, le régime polonais se devait de créer une zone de no man’s land autour de ces camps de la honte, reloger les habitants, interdire les commerces, laisser les lieux tomber en ruine, construire un vrai musée.

Payer pour leur culpabilité ? Peut-être, en tout cas, sûrement pas être autorisés à gérer ces lieux maudits.

Je reviens d’Auschwitz avec une colère que je ne sens pas s’apaiser.

On ne peut pas réécrire le passé, on peut s’efforcer d’honorer et entretenir la mémoire des disparus. Mais on ne peut pas accepter un présent qui foule au pied le passé.

Les Polonais n’ont rien compris, ou plutôt, ils n’ont pas changé.

Novembre 2003

Aujourd’hui le vote des députés Polonais montrent que j’avais hélas bien raison. Aujourd’hui il faut leur poser ces questions:

1/ Auschwitz se trouve t’il sur la Lune?
2/ Pourquoi les allemands ont choisi la Pologne pour établir ces camps?
3/ Les Polonais avaient ils le nez bouchés pendant toutes ses années
4/ et ça…c’étaient des martiens?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pogrom_de_Kielce
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pogrom_de_Cracovie_de_1945

  1. #1 par Jobenyo le 30 janvier 2018 - 13 h 53 min

    Mon cher cousin,

    Avec le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui tu penses que les relents antisémites du peuple d’Essav et de Rome se sont calmés. Tu crois encore au père noël ? les polacks et tous les pays européens ont gardés leurs gènes de la haine du juif. Demain ils ne bougeront pas si, D.ieu préserve, une attaque en règle des juifs européens prenait des proportions encore plus importantes que celles qui sévissent aujourd’hui. On restera seul, et avec les bougnouls qui gouvernent indirectement l’europe ce serait encore plus terrible.

    J’ajoute un peu d’harissa à ma bafouille « l’emploi (sans e) » » m’a obligé participe passé ». C’est juste pour pimenter ce courriel.

    Je vous embrasse.

    Hag Sameah

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  2. #2 par Dahan le 30 janvier 2018 - 18 h 55 min

    Les derniers survivants de la shoah sont sur le point de s’éteindre. C’est donc le moment qu’ont choisi les Polonais pour réinventer l’histoire en la faussant à outrance. D’autres le font régulièrement. Alors eux Ils essayent.
    Ton témoignage, Denis, est très fort. Et même en « deuxième main » il aura des échos encore longtemps.
    Jean Paul

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